Agnieszka est née en 1977, elle a 36 ans et est maman d’un garçon de onze ans qui fêtait son anniversaire le jour du Marathon de Cologne. Elle a étudié les sciences économiques et l’informatique à l’Université de Katowice et vit désormais à Chorzów. Il y a quatre ou cinq ans, à un âge où d’autres coureurs pensent à la retraite, elle décida de se consacrer entièrement à la course à pied et opta pour le statut professionnel. Avant, elle courait pour le fun, désormais elle parcourt jusqu’à plus de 200 km par semaine, dans les bois, sur du tarmac, sur piste, en montagne. Avec les Kényanes Lydia Kurgat, d’un an son aînée, et Janet Rono (25 ans), Agnieszka était l’une des trois favorites pour la victoire au Marathon de Cologne. Nous nous sommes rencontrés Marzellenstrasse, près de la cathédrale, à la suite du briefing technique, dans l’hôtel où étaient hébergées les élites.
Le Marathon de Cologne 2013, Silver Label Road Race de l’IAAF et accrédité par l’AIMS, avait attiré 7.073 inscriptions, en légère progression par rapport à l’année précédente, malgré la concurrence des marathons d’Essen (à environ 75 km et une heure de route de Cologne) et de Munich. Celui de Cologne était encadré d’un semi-marathon (14.666 inscrits, une progression de 10%), d’un marathon-relais, d’un marathon sur rollers et de quelques autres épreuves annexes qui avaient rassemblé plus de 24.600 participants au total. Pour la première fois depuis 2004, l’arrivée se jugeait au pied de la cathédrale. Le départ, par contre, se situait en face de la gare de Cologne Deutz, de l’autre côté du Rhin. Du centre-ville, l’on pouvait se rendre au départ et, la veille, à la Marathon Messe animée par 120 exposants, en traversant le Rhin par le Hohenzollernbrücke, ce pont ferroviaire dont les travées piétonnières sont ornées de milliers de cadenas, témoignages des promesses d’autant d’amoureux transis qui en jettent les clefs au fond du fleuve.
Le marathon empruntait, quant à lui, le Deutzer Brücke, un pont routier en amont, pour changer de rive et remonter le fleuve sur quatre kilomètres avant de virer en épingle à cheveux pour repartir vers l’Altstad. Ce premier aller-retour permettait d’apercevoir la tête de la course entre le 6ème et le 7ème kilomètre. Si les hommes évoluaient encore en peloton compact, Janet Rono avait, par contre, déjà creusé sur ses deux principales rivales un écart considérable qui se chiffrerait à près de 2 minutes au km 10, près de la Rudolfplatz.
« Quel est le plus beau souvenir de votre carrière sportive ? », avais-je demandé à Agnieszka la veille. Elle avait répondu tout de go : « Düsseldorf ». C’est là qu’en 2011 elle avait établi son « PB » sur marathon en 2:33:48 en terminant troisième. Elle a pourtant déjà remporté les marathons de Poznan (2009), Lodz (2012) et Debno (2013) en Pologne, s’est classée 10ème du Marathon de Berlin en 2010 et 16ème du Marathon de Francfort en 2011. A Cologne, c’était à nouveau le « PB » qui figurait au centre des préoccupations de l’athlète polonaise, la victoire venait en accessit. Le 29 septembre, elle s’était classée, en 1:13:25, quatrième femme au semi-marathon de la Route du Vin au Grand-Duché du Luxembourg. Son objectif pour Cologne était 2 h 30 min.
Cette année, non seulement le Marathon de Cologne se terminait à nouveau au pied du « Dom » mais il retrouvait aussi les « kölschen Veedeln », les « quartiers », préférés à un morne aller-retour le long du Rhin. Le parcours adoptait une forme pentamère comme celle d’une étoile de mer dont le centre était constitué par l’Altstadt, une branche (quelque peu embryonnaire) partait de la gare de Deutz et les quatre autres effectuaient des boucles dans les quartiers en remontant du sud vers le nord. L’on franchit ainsi la mi-course à la Friesenplatz que l’on retrouvait par la suite entre le km 39 et le km 40 après deux nouvelles boucles urbaines.
Janet Rono passait à mi-parcours en 1:13:20. Agnieszka Gortel suivait à un peu plus de 2 min 30 s (1:15:52), Lydia Kurgat à près de 5 min (1:18:18). Quel temps faisait-il à Düsseldorf lorsque vous y avez réalisé votre PB ? « Ciel bleu, plein soleil, 30° ! Ce ne sont pas des conditions idéales, mais moi j’ai adoré ! » s’était exclamée Agnieszka lorsque nous avions abordé la question de la météo. « Demain, c’est du 50-50. S’il pleut, et avec ce vent et le froid, ce sera autre chose », avait-elle ajouté avec une moue dubitative. Une partie de la nuit et le matin du marathon au lever, la pluie crépitait aux vitres et ravivait le souvenir d’un précédent Marathon de Cologne couru sous le déluge. Cologne est décidément bien une ville d’eau. Il y a déjà le Rhin et qui ne connaît la Kölnisch Wasser (l’eau de Cologne)? Pourtant, la pluie s’interrompit miraculeusement – comment pourrait-il ne pas s’agir d’un miracle, si près d’une cathédrale ? – et quelques timides rayons de soleil pointèrent même au travers de la masse nuageuse pendant la course. Restait à négocier le vent, bien présent.
Tout en parlant « PB » et objectif chrono, l’athlète polonaise et son entraîneur Zbigniew Nadolski me recommandèrent le Marathon de Lodz. Serait-il particulièrement scénique ? D’autres auraient plutôt songé, de ce point de vue, au Marathon de Cracovie. Mes interlocuteurs en convinrent : « Cracovie c’est plus joli, mais Lodz c’est plat et rapide. » « De toute manière, précisa encore Agnieszka, quand je cours en compétition, je ne vois rien. Je puis courir tout un marathon sans me souvenir du moindre endroit par où je suis passée ! » C’était en quelque sorte, à son insu gageons-en, donner raison à Alain. Dans ses Propos sur le bonheur, le philosophe écrivit : « Quand on voit les choses en courant elles se ressemblent beaucoup. Un torrent c’est toujours un torrent. Ainsi celui qui parcourt le monde à toute vitesse n’est guère plus riche de souvenirs à la fin qu’au commencement. » Eprouve-t-elle encore du bonheur à courir ? « J’en éprouverai quand j’aurai fini mon travail demain après-midi. »
Sans doute les quelques rayons de soleil lui redonnèrent-ils du coeur à l’ouvrage, à moins que ce ne soient, plus vraisemblablement, les dizaines de milliers de spectateurs et les orchestres présents tout le long du parcours. Rien de tel que le taraboum tsouin tsouin et le tarbang bang bang pour battre la cadence et soutenir le rythme. Toujours est-il que l’élégante athlète polonaise (1 m 69 et 56/57 kg, « je suis grosse et j’ai certainement pris un kilo ou deux de plus en m’entraînant si peu – 100 km – cette semaine… ») réussit un reverse split et parcourut la seconde moitié de l’épreuve en 1:14:36, plus rapidement que la première moitié (1:15:52), améliorant ainsi en 2:30:28 son « PB » de 3 min 20 s – « excusez du peu », eût dit Christophe Giltay s’il fût marathonien – et réduisant l’écart à moins de deux minutes par rapport à la lauréate kényane (2:28:36). Cette dernière réalisait la cinquième meilleure performance chronométrique féminine sur le Marathon de Cologne mais elle restait à trois minutes du record détenu depuis 2012 par sa compatriote Helena Kirop en 2:25:34.
L’on ne pourrait conclure ce compte-rendu du Marathon de Cologne côté femmes sans signaler que deux de nos compatriotes – Sabine Froment (2:57:21) et Sandrine Host (2:57:35), toutes deux nées en 1975 – y enlevèrent de superbes 5ème et 6ème places au classement général féminin. Sabine réalisait son ambition exprimée avant le départ de descendre sous les trois heures et Sandrine se montrait absolument enchantée de sa performance sur sa page Facebook.
Côté hommes, l’esprit de corps prévalut apparemment jusqu’au bout puisque quatre concurrents se retrouvèrent à l’arrivée en l’espace de 41 secondes : le Kényan Nicholas Chelimo (2:09:45), ses compatriotes Henry Chrichir (2:09:54) et Duncan Koech (2:10:10), ainsi que l’Ethiopien Workneh Tiruneh (2:10:26). Neuf coureurs se classèrent en moins de 2 heures 13 min. Le vainqueur du jour avait déjà remporté trois victoires sur marathon auparavant : Honolulu (2010 et 2011) et Nagano (2010). Il s’était classé troisième du plus récent Marathon de Los Angeles et avait réalisé son meilleur temps sur marathon (2:07:38) et une deuxième place au Marathon d’Eindhoven 2010.
Que le Marathon de Cologne est rapide, comme cela avait déjà été dit antérieurement sur ce blog dans un article consacré aux marathons de fin d’année, se trouva encore confirmé par les 3:41:25 de votre auteur marathonien favori qui, pour son 44ème marathon, accomplissait l’une des dix meilleures performances de sa modeste carrière, se classait 1307ème (sur 4112 arrivants hommes) et 10ème de sa catégorie d’âge avancé.
Les plus sagaces d’entre vous auront déjà conclu que ce marathon, de par son organisation (17/20), son ambiance (17/20), son parcours (17/20), son accessibilité (17/20) et l’intérêt de la destination (17/20), obtenait de haute foulée son certificat Marathonien de coeur et d’esprit avec un score de 85/100 et la mention “grande distinction”.
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Un grand BRAVO pour cette performance sportive !!!
Merci pour ton descriptif car j’ai revécu cette formidable expérience!