La Corrida de Gerpinnes – 33ème édition (22.12.2012)

Corrida de Gerpinnes, à l’arrivée au Collège Saint-Augustin

Marathonien de coeur et d’esprit et son éditeur, Drieu, pas du tout marathonien mais, par contre, philosophe à part entière, divergent sur les mérites de L’esprit de perfection de Georges Roditi (1906-1999). Cet homme de lettres français se ruina à réécrire et à faire rééditer à plusieurs reprises son recueil de réflexions d’une centaine de pages dans lequel il préconisait sous l’appellation d’esprit de perfection une attitude à l’opposé de l’agitation qui régnait, constatait-il dès 1975, dans les sociétés occidentales. « Ceux qui se donnent toujours de nouveaux buts ont besoin d’un avenir sans bornes, écrivit-il, alors qu’une vie où le bonheur n’a pas été remis à plus tard peut se passer de lendemain. » Ne cherchez pas le livre, Stock a cessé de l’éditer. Drieu s’en est procuré une édition originale de seconde main dont s’était débarrassée une bibliothèque dans le Loiret (France) mais lui non plus ne le rééditera pas. Sans doute ont-il raison. L’esprit de perfection n’est plus dans l’air du temps. A moins que, et c’est ce qui nous amène à la Corrida de Gerpinnes 2012.

Comment s’explique l’engouement pour une épreuve de jogging ? D’autres organisateurs, présents à proximité de la ligne d’arrivée de la Corrida de Gerpinnes pour distribuer une affichette annonçant leur propre épreuve de jogging à la fin du printemps, avouèrent se poser la même question. La Corrida de Gerpinnes se disputait samedi sur dix kilomètres et 380 mètres « tout tarmac », sous une pluie drue et dans un vent soutenu dont le profil du parcours ne protégeait pas les concurrents. Sans battage publicitaire, cette 33ème édition de la Corrida de Gerpinnes avait pourtant enregistré 1341 inscriptions. Si une centaine d’inscrits se désistèrent et une dizaine abandonnèrent, il n’en restait pas moins de 1210 classés. Il faut croire, tentèrent d’expliquer ces interlocuteurs, que les nombreux concurrents voulaient se faire plaisir en participant à ce dernier jogging de l’année en région carolorégienne.

Cela paraissait une explication plus plausible que le prize money car ce dernier ne concernait comme d’habitude qu’une infime minorité. C’est le Marocain Hamid El Mouaziz qui décrocha la timbale en battant le record de la Corrida de Gerpinnes en 30 min 46 s, à une moyenne de 20,24 km/h (2 min 58 s au km). Agé de 33 ans, il s’était classé, le mois dernier, 8ème du Marathon d’Athènes en 2 h 18 min 10 s et 4ème des 20 Km de Bruxelles 2012 en 1 h 01 min 15 s.

Les plus perspicaces d’entre vous auront remarqué que ce blog se partage en trois catégories : accomplissement de soi, connaissance de soi et dépassement de soi. Ce sont les trois thèmes moraux qui sous-tendent le livre Marathonien de coeur et d’esprit (faites-le vous envoyer à l’adresse de votre choix en cliquant sur le commander – 12,50 € frais d’envoi offerts). Dans L’esprit de perfection, revenons-y, Georges Roditi s’interrogeait sur les chances d’un renouveau de l’esprit d’accomplissement dans le « monde fini » où nous vivons. « La recherche de perfection, dit-il, n’obtient pas sa récompense dans l’oeuvre seulement, mais aussi dans l’ouvrier : en accomplissant, il s’accomplit. »

Selon Pausanias le Périégète (IIème siècle de notre ère), Mélété, la Muse de l’Exercice et de la Méditation, ou, en d’autres termes, de l’Accomplissement de soi, était l’une des trois Muses primitives (avec Aédé, la Muse du Chant, et Mnémé, la Muse de la Mémoire). Se référant à Socrate qui dans Le Banquet rendit grâce à Diotime, savante de l’amour, de tout ce qu’il en avait compris lui-même, à Dante qui célébra chez les femmes l’intelligence d’amour et à Nietzsche qui déclara dans Le Voyageur et son ombre « L’homme projette, la femme accomplit », Roditi avança que rares sont les femmes auxquelles l’esprit d’accomplissement faisait vraiment défaut. Sans raids et sans razzias, leurs progrès seraient ceux qu’obtiennent le zèle et l’émulation. L’ambition féminine n’aurait rien d’un esprit de conquête à la Rastignac, la distinction freudienne entre Eros et Thanatos serait étrangère au genre féminin. La femme parlerait nativement le langage d’Abel et non celui de Caïn.

Que ceux qui dans leur univers sont entourés de femmes qui, dès que la température tombe sous les 20° C, s’emmitouflent dans leurs parkas et enfilent bonnets de laine et moufles, s’émerveillent avec l’auteur de ces lignes de ce que trois cent deux femmes (le quart du peloton) accomplirent la Corrida de Gerpinnes, détrempées par la pluie froide qu’elles eurent à supporter pendant plus d’une heure pour certaines (Catherine Martens, Virginie Soenen et Sandrine Host, trio de tête féminin, furent quant à elles chronométrées respectivement en 39 min 56 s, 40 min 7 s et 40 min 45 s).

Gloire soit rendue à toutes ces femmes pleines d’abnégation qui bravèrent les éléments, et plus encore si, grâce à leur sens inné de l’accomplissement, des prédateurs, hommes d’argent et de pouvoir, elles préservaient le monde. Tous ensemble nous écouterions alors l’Oratorio de Noël de Jean-Sébastien Bach et, au son des trompettes exubérantes, nous entonnerions avec les choeurs : « Jauchzet, frohlockhet ! Auf, preiset die Tage… ». (Exultez, réjouissez-vous ! Debout, louez les jours…).

A toutes et à tous, Joyeux Noël !

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