Pour rester dans l’esprit du livre Marathonien de coeur et d’esprit (c’est à dire de parcourir d’un regard de marathonien le monde dans lequel nous vivons…), ce blog a pris l’habitude d’évaluer les marathons auxquels participe son auteur en fonction de cinq critères avec pour chacun une cote sur 20 : l’organisation générale (facilité d’inscription, retrait des dossards, clarté des dispositions pour la consigne et le départ, chronométrage, sanitaires et secours, balisage), le parcours (surface, dénivelé, rapidité, intérêt scénique), l’ambiance (nombre de concurrents et de spectateurs, animations), l’accessibilité (coût et durée du déplacement, budget séjour) et l’intérêt de la destination (sur le plan culturel, climatique, gastronomique). Sur tous ces plans, il serait bien malaisé de départager le Marathon de Paris 2014 et le Marathon de Berlin 2014 et de ne pas accorder au second le score parfait que l’on attribua au premier (100/100).
Sur le plan de l’organisation, Paris n’a rien à envier à Berlin : les deux marathons sont organisés par des entreprises commerciales spécialisées. S’il faut reconnaître qu’à Berlin la foule des spectateurs est impressionnante et des animations musicales de qualité se succèdent de kilomètre en kilomètre, Paris reste plus accessible que Berlin, sur un plan géographique et de par son système d’inscription (il y eut plus de 70.000 demandes pour 40.000 dossards – et pourtant moins de 30.000 finishers… – à Berlin). Quant à l’intérêt respectif des deux destinations, les louanges dont ne tarissait pas un ami parisien à l’issue d’un séjour qu’il avait effectué en couple dans la capitale allemande confirmaient que cette dernière valait bien la ville lumière. Ah oui, le parcours de Berlin est plus rapide. N’est-ce d’ailleurs pas à Berlin qu’ont été établis les six derniers records du monde masculins du marathon ?
C’est précisément cet aspect-là qui apparemment pose question à certains. Deux jours à peine après que le Kényan Dennis Kimetto ait battu le record du monde du marathon en 2:02:57, le Télégramme, un quotidien régional français de Bretagne, se faisait l’écho de propos de Dominique Chauvelier mettant en doute la probité de ces records : « Ces records du monde, je n’y crois pas ! » Les considérations de cet ancien champion de France de marathon (1981, 1990, 1991, 1993) furent relayées dans la presse française et francophone, photo du dernier vainqueur du Marathon de Berlin à l’appui, sous des titres ne laissant aucune place à l’équivoque : « Le marathon est-il bidon ? » « Les records qui posent question… » L’information aurait-elle cédé le pas à la déformation et à la diffamation? N’est-ce pas le signe d’une époque, que dénonce d’ailleurs Marathonien de coeur et d’esprit, plus prompte à condamner et exécuter que disposée à écouter impartialement et juger en connaissance de cause ?
Chauvelier réalisa son record personnel sur marathon (2:11:24) à Milan, lors de la Coupe du Monde de 1989 : il y a vingt-cinq ans. Il y a, cette année, 25 ans que le Mur de Berlin est tombé. En un quart de siècle, bien des choses ont évolué et le marathon a changé. Le marathonien français souffrirait-il de l’effet inexorable du temps sur sa propre notoriété ? « Moi, dit-il, j’en suis resté à la bonne vieille époque des noms connus, comme Gebreselassie, Tergat et Bekele. » Fort bien, mais cette « bonne vieille époque » ne remonte jamais qu’à 2003 (RM 2:04:55 du Kényan Paul Tergat), à 2007-2008 (les deux records du monde 2:04:26 et 2:03:59 de Gebreselassie) et… au 6 avril de cette année, date du Marathon de Paris 2014 où Kenenisa Bekele effectua ses débuts sur la distance (2:05:04).
Si l’on en croit l’accusation, le dernier record du monde crédible serait celui qu’établit Haile Gebreselassie en 2008. C’est donc remettre en question les records des Kényans Patrick Makau (2:03:38 – 2011), Wilson Kipsang (2:03:23 – 2013) et Dennis Kimetto (2:02:57 – 2014).
« Avant, il y a eu l’EPO, puis il y a eu l’Aicar. Maintenant le dopage se fait au niveau de la thyroïde pour booster le système hormonal », clame encore le procureur. Et à votre glorieuse époque, Monsieur Chauvelier, l’athlétisme ne carburait-il donc exclusivement qu’à l’air pur et à l’eau fraiche ?
Quoi qu’en dise Chauvelier (« Ça dure un an, deux ans et ils disparaissent de la circulation »), Dennis Kimetto ne fait pas figure d’étoile filante. Il a 30 ans, se classa deuxième du Marathon de Berlin en 2012 (2:04:16) et remporta les marathons de Chicago en 2:03:45 et de Tokyo en 2:06:50 en 2013. Qu’il fut longtemps au coude à coude avec son compatriote Emmanuel Mutai qui résista jusqu’à l’arrivée et termina en 2:03:13 lui aussi sous l’ancien record du monde de Wilson Kipsang n’aura pas manqué d’aider Kimetto à battre le record du monde à Berlin. Mutai n’est lui non plus pas un nouveau venu puisqu’il se classa premier au classement des World Marathon Majors en 2011.
Personne ne fait preuve de naïveté. Dans son édition du lundi 29 septembre 2014, lendemain du Marathon de Berlin, le grand quotidien national allemand Die Welt écrivait : « Ces records soulèvent évidemment la question du dopage. » Il la posa donc directement au directeur de la course Mark Milde et au manager du vainqueur. Milde souligna que, depuis des années, aucun coureur ayant été convaincu de dopage, ne serait-ce qu’une seule fois, n’a le droit de participer au Marathon de Berlin. Quant au manager du coureur, il fit remarquer que le nouveau recordman du monde fait l’objet de dix à quinze contrôles non annoncés par an.
« Chauchau », comme on le surnomme en France, n’aurait-il pas dû mettre les pieds au frais plutôt que dans le plat et éviter de se lancer sur le chemin tortueux de la calomnie ? Et, la presse francophone n’aurait-elle pas dû s’abstenir de publier ces considérations à sens unique sans donner à toutes les parties concernées l’occasion de s’exprimer ?
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Excellente analyse que je partage. Il est également bon de noter que le marathon reste une discipline en “expansion” et que le rythme auquel descend le record reste plutôt linéaire : 1 minute en Tergat (2003) et Gebreselassie (2008) en 5 ans, 1 minute entre ce même Gebreselassie et Kimetto (2014) en 6 ans.
De plus, il est évident qu’aujourd’hui beaucoup de coureurs se spécialisent plus tôt dans le marathon, au contraire des Tergat et Gebresselassie qui ne s’y sont intéressés qu’à la fin de leur carrière sur piste ! Ceci peut sans doute aussi expliquer ces records, même si il est évident que comme dans tous les sports de haut niveau, le doute persiste…
Wouah, je tombe sur des spécialistes du Running Kenyan! Un journaliste du Télégramme m’a demandé mon avis en 5′ (j’étais en pleine conférence) et je montre seulement mon scepticisme, je constate des chiffres, j’écoute l’écœurement de managers et de certains journalistes spécialisés par rapport aux nouveaux managers “industriels”.
Berlin : 14´09″ au 5000 mètres entre le 30/35 km soit 21,200 km/h! Le 10eme se prend plus de 3 km dans la vue (un Japonais valant 2h08) des écarts énormes jamais constatés il y a quelques années. Expliquez aux lecteurs comment on bat son record du semi-marathon dans la 2ème partie d’un marathon puis de faire des montées de genoux à l’arrivée! Quels sont ces nouvelles techniques d’entrainement qui feraient courir plus vite… Mais pas valable pour les Japonais et Français a priori?
Alors Kimetto est un grand champion non essoufflé à l’arrivée, c’est vrai. Je constate une fois de plus. Je n ai jamais parlé de dopage mais on peut évoquer aussi un rééquilibrage hormonal (refaire les niveaux). Il s’agit tout simplement du sport moderne avec ses limites, ses excès (Wanjiru, par exemple), son business, ses rentrées de devises…
Ou alors, silence, on se tait, chut! Restons passionnés surtout et c’est mon cas (sans aigreur )… Je me bats contre la barrière des 3 h maintenant !!!
Je suis de l’avis de Dominique… Si le gars n’est pas fatigué après 42 km pourquoi ne pas faire un chiffre rond 45 ou 50km sur route pour voir à quel moment ils sont fatigués 😉 Ce chiffre de 42.195 ne correspond de toute façon à rien puisqu’il n’est pas la distance de la plaine de marathon à Athènes, juste un caprice de Reine.
Tout à fait d’accord, Monsieur Chauchau, pratiquant de course à pied depuis plus de 25 ans et un reccord à 2 h 42. Je me bats pour descendre sous 2 h 40, et que c’est dur ces 2 min à gagner. Non tout le monde n’est pas dopé, mais certains records laissent dubitatifs. Je vous admire toujours autant et j’espère encore être à vos côtés, au depart de Taulé Morlaix encore cette année.
Une petite question, les records ne sont-ils pas fait pour être battus??? Je suis d’accord que c’est énorme mais il n’y a pas que sur marathon si l’on va par là, regarder sur 100 m, à la perche il y a encore même de la marche… Personnellement quel que soit le sport l’on ne peut réellement savoir si c’est du naturel ou pas… C’est idem pour le cyclisme depuis déjà bien longtemps alors pourquoi pas en athlétisme… Décevant je sais…